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L'education populaire, un enjeu fort autour de la citoyenneté, de nombreux défis et difficultés (Table-ronde, assemblée nationale)

Paru dans Périscolaire le jeudi 01 février 2024.

L'Education populaire, “c'est un pari éducatif“, estimait Patrick Chenu mercredi 31 janvier lors d'une table ronde Commission des affaires culturelles à l'Assemblée nationale au sujet du périmètre et des enjeux de cette dernière.

Le président du Fonds de coopération de la jeunesse et de l’éducation populaire (Fonjep) ajoute qu'elle s'incarne dans la pédagogie et les savoir-faire développés par les associations, cependant sa place semble poser question : Emmanuel Porte, chargé d’études et de recherches sur l’éducation populaire à l'Injep, considère qu'aujourd'hui “on a affaire à un renouveau de cette référence“, notamment avec les universités populaires, et que les acteurs de la société civile cherchent une réaffirmation de la politique et des enjeux de promotion de la citoyenneté.

Renouveau

Chantal Bruneau, vice-présidente du Haut conseil à la vie associative (HCVA), pense “que ce terme est peut-être un peu daté, même si certains parlent de modernité“ et souhaite travailler afin qu'il revienne dans les débats, “pour faire de chacun à son échelle non pas un consommateur mais un contributeur à la vie générale (...), à l'apprentissage de la citoyenneté, du vivre ensemble dans tous les territoires", au travers là encore des associations qui ont “rôle fondamental à jouer dans ce domaine“.

Il s'agit même d'un “défaut de visibilité et de reconnaissance“ pour Arnaud Tiercelin, co-président du Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (Cnajep) pour qui l'Education populaire mériterait plus de visibilité dans les attributions ministérielles, d'où la “nécessité d'une reprise de l'ambition publique sur ce que représente l'Education populaire“. En effet, selon lui, les politiques de jeunesse sont à l'heure actuelle “très sectorielles, très tournées vers les besoins multiples de la jeunesse, peut-être pas assez vers importance d'accompagner les prises de parole et de responsabilité des jeunes à un moment où la défiance à l'endroit de l'action publique progresse“.

Engagement

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le taux d'engagement reste relativement stable depuis une quinzaine d'années : il concerne 23 à 25 % des Français, indique Stéphanie Andrieux du HCVA. En revanche, tandis que que les plus de 65 ans s'engagent de moins en moins, “les moins de 35 ans s'engagent de plus en plus et la tendance est très nette“, ajoute-t-elle. La problématique de la gouvernance se dégage néanmoins, avec un président d'association sur 25 qui a moins de 30 ans, contre un tiers à avoir plus de 65 ans, ce qui entraîne “des formats qui sont encore établis par des gens qui ne sont plus la génération qui s'engage le plus“, et donc des modèles qui ne correspondant plus à ceux auxquels aspirent les plus jeunes.

Arnaud Tiercelin (Cnajep) abonde en évoquant une “logique bureaucratique extrêmement envahissante dans les projets associatifs, on passe de moins en moins de temps dans les Conseils d'Administration (CA) à discuter du projet éducatif ou associatif mais de plus en plus de temps à aborder des problématiques administratives“.

Défis

Emmanuel Porte (INJEP) identifie plusieurs types de défis qui attendent l'Education populaire. Son défi est d'abord global, car longtemps pensée comme complémentaire de l'école, “elle a également un rôle dans la mise en œuvre de la société de la connaissance, ce qui suppose une production des savoirs à partir de l'expertise des citoyens“ et ce qui interroge, in fine, sur la manière de faire société et pose question sur la participation démocratique (notamment avec les expériences de démocratie participative, les débats sur le pouvoir d'agir, la “convention citoyenne“). Elle fait également face à des défis structurels en matière d'organisation ou de formation, quant à la question de l'échelle pertinente de l'action inter-associative (entre Régions, intercommunalités, métropoles, etc.), après les réformes de l'organisation de l'Etat (comme la loi Notre). Enfin, il distingue le défi des transitions (numérique, environnementale, culturelle).

Plusieurs acteurs ont aussi fait part de la “crise“ que connaît l'Education populaire, notamment Arnaud Tiercelin (Cnajep) quand il évoque le risque d'un effondrement d'une partie de la vie associative “parce qu'elle est largement assise sur le secteur de l'emploi salarié“, dans un modèle économique “très déstabilisé par le contexte inflationniste“ (après celui du Covid-19)“ qui n'est pourtant “pas suffisamment pris en compte par les décideurs et financeurs publics“ (Etat et collectivités, ndlr).

En effet, la stagnation des financements des associations peut entraîner le risque d'une baisse de la qualité des services proposés (par exemple dans une collectivité, une baisse du taux encadrement et de la professionnalité dans l'accueil collectif de mineurs), ou une demande d'augmentation de la contribution des familles.

Patrick Chenu (Fonjep) souligne, malgré la hausse du nombre de postes Fonjep (8721 en 2022 versus 7712 en 2021), un “vrai sujet sur le montant de l'unité de ces postes qui n'a pas bougé pendant 20 ans“ (hormis au ministères de l'Europe et des Affaires étrangères cette année), et des structures qui à 72 % affirmaient en 2023 “avoir encore des difficultés de recrutement“, sachant que 6 561 postes restent vacants dans le champ de l'Education populaire, en raison de difficultés d'accès aux formations, de mobilité, de logement, d'horaires, de manque de diplômes ou de formations, de temps partiel, de rémunérations et de perspectives d'évolution..

Avec les postes Fonjep Jeunes, se pose aussi la question au bout de 3 ans de la consolidation des modèles socio-économiques de ces associations : “L'essentiel c'est comment on passe d'une époque où les associations de Jeunesse et d'Education populaire vont avoir un modèle économique subi, de par leur encastrement financier institutionnel, de par le recours abusif à la commande publique, à des modèles socio-économiques choisis, au service du projet et pas l'inverse“.

En revanche, l'Education populaire est pour Arnaud Tiercelin (Cnajep) également précieuse “sur sa capacité à innover en permanence“, pour adapter de nouvelles solutions, créer de nouveaux espaces à l'écoute des évolutions sociétales. Il estime qu'avec l'arrivée de la vague de l'IA et les réseaux sociaux, “il va falloir être inventif, réactif pour proposer quelque chose qui détourne les jeunes de cette fascination et cette captation par les écrans. On ne s'en sortira pas par l'interdiction et la limitation, il faudra qu'on innove, qu'on invente, encore faut-il qu'on nous laisse la possibilité d'innover“, assure-t-il.

Appels à projets et CER

Ont enfin été évoquées les difficultés en matière d'appels à projet, dont Jean-Pierre Duport (HCVA) a dénoncé la multiplication : “il faut encadrer et rassurer les collectivités locales qui souvent font des appels à projets car elles estiment qu'elles vont sinon se retrouver chez le juge pour non-respect des règles de la concurrence“. Or “ces appels à concurrence nuisent à la qualité du travail associatif et introduisent entre différentes associations une concurrence qui n'a pas de justification“.

De son côté, Arnaud Tiercelin (Cnajep) évoque des “enjeux de sensibilisation des acteurs techniciens des collectivités territoriales sur le non-recours“ aux appels à projets, c'est à dire un rappel de ce que permet le droit et le principe de confiance alors qu'il en serait fait un “usage très prudentiel“ qui “disqualifie la subvention (perçue comme) un risque juridique“.

Il met en garde contre le Contrat d'engagement républicain (CER) dont la progression produirait “des effets à bas bruit“, c'est à dire des associations “mises à mal dans leur liberté d'expression, d'action“ ainsi qu'à travers le déploiement d'une “logique d'auto-censure, d'évitement“, ce qui pourrait empêcher la parole de citoyens parfois critique à l'endroit de l'action publique, “ce qui est le rôle des associations dans le débat démocratique“. Sinon, poursuit-il, cela pourrait aboutir “à la multiplication d'un non-acte démocratique“, c'est à dire “l'émeute, la crise qui explose à laquelle qu'on ne peut plus remédier car il n'y a plus ces espaces intermédiaires. Il faut laisser les associations faire ça et l'Education populaire donne les moyens, elle forme les gens à faire ça.“

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