Les travaux entrepris dans les établissements scolaires doivent être signalés et protégés (une analyse d'A. Legrand)
Paru dans Scolaire le vendredi 15 avril 2016.
Les immeubles appartenant à une collectivité publique et affectés à une fonction d’intérêt général constituent des ouvrages publics. Les travaux qui y sont effectués sont généralement des travaux publics. Et, quand l’exécution de ces travaux cause des dommages, ceux-ci sont appelés dommages de travaux publics et régis par un système de responsabilité aux règles spécifiques, avantageuses pour les victimes.
L’administration est tenue d’entretenir normalement les ouvrages publics. La jurisprudence se fonde en effet sur l’idée qu’un ouvrage bien entretenu ne peut pas provoquer d’accident. Lorsqu’un usager de l’ouvrage est victime d’un accident, le juge présume donc que l’ouvrage n’a pas été entretenu normalement et que l’administration a commis une faute. Ce n’est donc pas à la victime de prouver qu’il y a eu une faute de l’administration, c’est à cette dernière qu’il appartient de prouver qu’elle a normalement entretenu l’ouvrage. Ce régime de responsabilité pour présomption de faute renverse donc la charge de la preuve et il s’applique aussi dans l’hypothèse des accidents de travaux publics que l’on rencontre à l’occasion des travaux effectués sur les ouvrages publics.
Les conditions de la responsabilité étaient-elles réunies ?
Les établissements scolaires sont des ouvrages publics, car ils appartiennent à des collectivités publiques : départements, régions, exceptionnellement Etat et sont affectés à une fonction d’intérêt général. Les règles décrites ci-dessus s’appliquent donc à eux. Dans un collège du Calvados, des travaux avaient été commandés par le département propriétaire à une entreprise ; pour les réaliser, les agents de celle-ci avaient retiré le couvercle d’un regard et omis de le replacer ultérieurement. Une enseignante du collège était tombée dans le trou et elle avait été blessée ; elle avait intenté un recours devant le TA de Caen, pour obtenir réparation des dommages subis et mettre en jeu la responsabilité du département propriétaire et de l’entreprise prestataire.
Les conditions de la responsabilité étaient réunies. En particulier, la jurisprudence range les enseignants et les élèves des établissements scolaires dans la catégorie des usagers auxquels les règles décrites ci-dessus s’appliquent. Pourtant, le TA a rejeté le recours. Il existe en effet quelques hypothèses où l’administration peut s’exonérer de sa responsabilité et le TA avait considéré qu’on se situait dans un de ces cas, celui où la victime a concouru à la réalisation du dommage, en commettant elle-même une ou plusieurs fautes. Pour décider s’il y a eu faute de la victime, qu’il définit de manière très large, en y rangeant en particulier l’imprudence, l’inattention ou la maladresse, le juge statue au cas par cas, en s’attachant à des éléments de fait : il se demande par exemple si la victime connaissait ou non les lieux, si elle était en mesure d’apprécier correctement le danger etc… Dans le présent cas, le TA a considéré que le trou était parfaitement visible à l’heure de l’accident, pour une personne normalement attentive, et que la victime connaissait parfaitement les lieux, dans la mesure où ils se situaient à proximité de la salle des professeurs. Il en avait donc déduit qu’il y avait eu imprudence ou inattention de l’enseignante et que celle-ci avait commis une faute exonérant le département et l’entreprise de leur responsabilité.
L'enseignante n'était pas censée avoir connaissance des travaux
Saisi en cassation, le Conseil d’Etat désavoue le TA, dans un arrêt du 4 avril 2016 ; il insiste sur le fait qu’aucune signalisation n’avait été posée pour avertir les enseignants du danger résultant de l’ouverture du regard et qu’aucun dispositif de protection n’avait été installé. L’absence de ces précautions est constitutive du défaut d’entretien normal, qui engage la responsabilité de l’administration. A l’inverse, dans les circonstances de l’espèce, l’imprudence reprochée à la victime ne pouvait pas être considérée comme fautive, dans la mesure où il y avait eu changement dans la configuration habituelle des lieux et où elle n’était pas censée avoir connaissance des travaux entrepris, faute des avertissements nécessaires.
L’administration n’avait pas pris les précautions utiles ou nécessaires. Le Conseil d’Etat estime donc qu’il y a eu qualification inexacte des faits et, annulant le jugement du TA, il lui renvoie l’affaire pour réexamen. Le TA aura éventuellement à régler la répartition des parts respectives de responsabilité entre le département et l’entreprise.
André Legrand