Hors-contrat : une école pour les "dys-" accueille 240 élèves à Paris
Paru dans Scolaire le lundi 11 septembre 2017.
Quatrième épisode du "feuilleton" que ToutEduc consacre à la diversité du "hors-contrat", l'école du CERENE (Centre de référence pour l’évaluation neuropsychologique de l’enfant) qui fêtera l'an prochain ses 10 ans et qui scolarise sur 3 sites à Paris quelque 240 enfants en souffrance scolaire du fait de troubles "dys".
ToutEduc : Comment un ingénieur, ancien élève de Polytechnique, est-il amené à créer une école hors-contrat ?
Hervé Glasel : Au sortir de l'Ecole, j'ai travaillé pendant 15 ans dans la finance et j'ai beaucoup voyagé, je me suis rendu compte que les systèmes d'éducation et de santé, qui semblent chez nous être des modèles indépassables, sont très différents, à Singapour ou à Chicago par exemple. De plus, j'ai toujours été intéressé par l'épistémologie et les neurosciences. J'ai donc engagé un nouveau parcours universitaire en psychologie du développement et de l'éducation, et les troubles des apprentissages me sont apparus comme les révélateurs des processus d'apprentissage. J'ai travaillé avec le laboratoire NeuroSpin et j'ai commencé une seconde carrière en créant un centre de diagnostic, de dépistage de ces troubles. Mais il ne suffisait pas de faire des préconisations, encore fallait-il qu'elles puissent être mises en œuvre. Elles sont souvent complexes, comprenant une dimension paramédicale et un versant pédagogique avec des aménagements de la scolarité. Le plus simple était de tout réunir en un seul lieu. Et puis, par curiosité scientifique, je voulais suivre l'évolution de ces enfants, voir si et comment ça marche...
ToutEduc : D'où la création de l'école ?
Hervé Glasel : Exactement. En 2010, nous avons commencé avec une dizaine d'élèves de cours moyen et de 6ème-5ème. Aujourd'hui, nous avons trois sites et une classe abritée dans l'école Sainte-Croix de Neuilly [école sous contrat, ndlr]. Nous pensons en effet qu'il peut être intéressant d'apporter notre expertise dans des écoles existantes.
ToutEduc : Quels sont les enfants que vous accueillez ?
Hervé Glasel : Ce sont des enfants en souffrance du fait de troubles des apprentissages, dyslexies, dyspraxies, dysphasies, dysorthographies, dyscalculies, précocité intellectuelle, déficits de l’attention avec ou sans hyperactivité, troubles de la cognition sociale, une expression que je préfère à "autisme".
ToutEduc : Tous ces troubles sont réputés faire souvent l'objet de diagnostics abusifs. Comment les évitez-vous ?
Hervé Glasel : Ce n'est pas là l'essentiel. Nous avons développé notre expertise et nous prenons 4 ou 5 heures pour l'étude de chaque dossier. Il y a toujours quelque chose à comprendre dans les demandes que nous recevons. Un trouble modéré peut avoir un impact massif et inversement. Nous, nous répondons à la souffrance scolaire. Nous sommes parfois sidérés de son intensité. Des enfants ont été humiliés par leurs enseignants de façon dramatique. En revanche, nous n'accueillons que les enfants que nous sommes équipés pour accueillir, pas ceux qui présentent un retard global du développement ou des troubles du comportement ["déficients intellectuels" ou "caractériels", ndlr]
ToutEduc : Les scolarisez-vous en fonction de leurs difficultés ?
Hervé Glasel : Nous constituons de petits groupes-classes d'une dizaine d'élèves en moyenne, du CE1 à la 3ème, indépendamment de leurs troubles, mais en nous demandant ce qu'ils en commun de façon à créer une dynamique de groupe. En moyenne, ils restent 2 ou 3 ans, avant leur intégration, en général dans une école privée sous contrat, mais de toute façon, dans un établissement que nous connaissons et qui a envie de travailler différemment. Les personnels paramédicaux ne sont pas nos salariés, mais ils interviennent sur les lieux de scolarisation des enfants de manière à leur simplifier la vie, mais aussi pour être en contact avec leurs enseignants et à suivre ensemble le "projet de l'élève" que nous construisons ensemble dès son inscription et pilotons pendant toute sa scolarité au CERENE.
ToutEduc : Leur intégration dans un système scolaire "ordinaire" suppose qu'ils aient suivi les programmes de l'Education nationale...
Hervé Glasel : Effectivement, nous ne changeons pas les contenus, mais nous mettons l'accent sur le français, les maths, l'histoire-géographie, les SVT, et les enseignants conçoivent leurs supports pédagogiques selon les règles que nous avons élaborées pour tenir compte des difficultés de nos élèves : taille des caractères, interlignage, homogénéité des présentations de façon à avoir des repères visuels constants. La formulation des contenus tient compte d’un principe d’accessibilité pédagogique. Ces outils sont utilisables de manière traditionnelle papier-crayon, mais aussi par l’intermédiaire de l’ordinateur.
ToutEduc : Quel est votre taux de succès ?
Hervé Glasel : En règle générale, un enfant non lecteur (ou mauvais lecteur) progresse significativement. Mais, même si la lecture peut rester laborieuse au bout de son parcours, il sait faire beaucoup d'autres choses. Nous ne faisons pas de pronostics et nous ne nous donnons pas d'échéances pour tel ou tel apprentissage. Ce qui compte, c'est que l'enfant progresse, nous regardons son parcours individuel.
ToutEduc : Qui sont vos enseignants ?
Hervé Glasel : Ils sont une quarantaine, souvent venus de l'Education nationale, en disponibilité, démissionnaires, jeunes retraités... Et chaque année, ils ont 7 à 8 jours de formation à la connaissance de ces troubles.
ToutEduc : Vous êtes hors-contrat, vous ne touchez pas de subventions. A combien s'élèvent les frais de scolarité ?
Hervé Glasel : 12 000€ par an. Si le trouble dont souffre l'enfant a été reconnu comme un handicap par la MDPH [maison départementale des personnes handicapées, ndlr], sa scolarité peut être financée jusqu'aux deux-tiers. Cela dépend beaucoup des départements, et si Paris est assez à l’écoute des familles, ça n’est pas toujours le cas dans les Hauts-de-Seine par exemple. Nos élèves viennent, pour l'essentiel, de région parisienne. Par ailleurs, des fondations, telle la FOSCAH (Fondation sciences cognitives, apprentissages et handicap) ou la Fondation Guglielmetti, toutes deux sous égide de la Fondation de France peuvent également intervenir.
ToutEduc : Comment voyez-vous l'avenir de l'école du CERENE ?
Hervé Glasel : Nous n'avons pas vocation à gérer des établissements, des murs et des chaises, mais à travailler sur des remédiations aux troubles des apprentissages. On adorerait développer, comme à Sainte-Croix de Neuilly, des classes hébergées dans d'autres établissements. Nous y réfléchissons d'ailleurs avec le rectorat de Paris.
Le site du CERENE ici, sur le hors-contrat, lire aussi ToutEduc ici, ici, ici, ici, ici
Propos recueillis par P. Bouchard, relus par H. Glasel