Éducation prioritaire : pour un pilotage efficace, il faut développer l'analyse entre pairs (IFE)
Paru dans Scolaire le lundi 16 octobre 2017.
Privilégier des comités de pilotage à géométrie variable, plutôt que restreints à ce que disent les textes en la matière, de telle sorte qu'ils puissent s'ouvrir à telle ou telle personnalité en fonction des besoins, priorités, ordres du jour, ou encore co-construire le pilotage en s'associant à des équipes de recherche qui peuvent susciter des auto-analyses mais aussi des analyses entre pilotes, telles sont quelques-unes des pistes que livre, sur son site, le Centre Alain-Savary (IFE) afin d'améliorer le pilotage des réseaux d'éducation prioritaire. Ces observations sont issues d'une enquête menée auprès de 7 réseaux d'éducation prioritaires, dans 3 académies, Lyon, Clermont-Ferrand et Marseille, cette dernière académie ayant été suivie par Christine Félix, enseignante-chercheuse en sciences de l'éducation à Aix-Marseille Université. Alors "que la question du pilotage des réseaux au service d'une réflexion collective sur les difficultés ordinaires d'enseignement et d'apprentissage rest[e] quelque chose de compliqué à mettre en œuvre", le Centre Alain-Savary propose aujourd'hui des ressources et des outils d'aide au pilotage, sous forme de synthèses, schémas, vidéos et interviews. Le résultat de ce travail a été présenté lors de deux journées de formation en juin 2017, avant d'être mis en ligne le 6 octobre 2017.
Parmi ces outils figure une ressource vidéo ("Cas d'école n°1") qui retrace la genèse d'une collaboration inter-métier au sein d'un REP+, et qui montre comment et pourquoi les équipes ont opté, un an plus tard, plutôt pour un comité de pilotage à géométrie variable alors qu'initialement "le comité de pilotage avait été restreint par souci d'efficacité". Outre la lassitude du coordonnateur de réseau qui "passe son temps à redonner à chaque autre acteur périphérique les décisions qui ont été prises dans ce comité de pilotage volontairement restreint", les observateurs posaient, un an après, la question de l'efficience de ce modèle, notamment au regard des formations premier degré et inter-degrés, considérées comme un préalable pour "faire réseau" mais qui avaient été pensées de manière totalement "découpée" et n'avaient donc pas répondu aux attentes.
Concevoir des formations pour les réseaux passe par la définition de collectifs
Cette organisation initiale, constate l'une des observatrice du Centre Alain-Savary, Lydie Buguet, a en effet induit un travail "complètement pensé (...) de manière découpée". Ainsi, dans le premier degré, la coordonnatrice relevait les besoins en formation, répartissait les personnes dans les journées, le formateur éducateur prioritaire concevait la formation une fois la thématique posée, alors que le conseiller pédagogique, "qui a besoin de comprendre ce qui se passe dans son réseau", avait totalement "disparu" du dispositif. Résultat, observe-t-elle, ces acteurs ont créé un collectif "sous le manteau", sans existence officielle "car ils se sont rendu compte qu'ils avaient besoin de cet espace".
Même constat de conception "saucissonnée" du côté de la formation inter-degrés, même si les acteurs sont passés par un "autre rouage" en montant une FIL (Formation d'initiative locale) et en faisant appel au formateur académique. Cette formation, autour du thème de la laïcité s'était soldée, rapporte Lydie Buguet, par des bénéficiaires "partis en colère" et des formateurs "malmenés". Principal écueil selon l'observatrice, l'absence de collectif pour définir les attentes alors que les enseignants n'avaient pas du tout les mêmes. Pour les uns, il s'agissait simplement de mettre "en musique" la Charte de la laïcité, le premier degré avait des attentes surtout sur la façon de gérer les parents et les différents entre les enfants dans la cour de récréation, les enseignants de SVT s'inquiétaient plutôt de la façon d'appréhender des cours en lien avec la sexualité, etc. Pour Lydie Buguet, il ne faut plus penser ces questions "Qui fait les remontées des besoins ? Qui définit les contenus ? Qui organise la formation ? Qui la conçoit et quel espace pour les formateurs ?" par métiers mais dans le cadre de collectifs. Et de fait cela passe aussi par l'invitation, "parfois", dans le comité de pilotage, des formateurs éducation prioritaire, du principal adjoint, des directeurs SEGPA et des écoles, "en fonction des besoins, des ordres du jour".
Mettre les pilotes en situation d'analyse de leurs propres interventions et d'analyse entre eux
Autre piste évoquée dans le dossier de l'IFé pour développer le collectif, celle de co-construire un "milieu de recherche associé à un milieu de travail", donc de développer des recherches-actions pour sortir de la logique individuelle. Car la méthodologie de la recherche permet, selon Christine Félix qui en a menée une avec ses équipes dans le réseau d'éducation prioritaire Jean Moulin du bassin littoral Nord marseillais, non pas "de proposer des solutions en lieu et place des professionnels" mais "de construire, avec eux et à leur demande, les moyens de se placer en position d'analyse de leur propre activité". Ainsi, pour cette recherche-action, les pilotes ont été positionnés dans une double situation : celle de l’auto-confrontation (sur la base du visionnage de leurs propres interventions filmées durant 15 réunions) et celle de la confrontation avec d'autres pilotes, en entretien (par deux).
Pour Christine Félix, le chercheur est le mieux à même de placer chaque professionnel dans ces situations et de le "seconder" pour qu'il puisse "mieux réaliser sa stratégie et celle de l'autre" mais aussi pour qu'il puisse "inventer de nouvelles manières de faire et de penser le métier qui tiennent mieux compte des enjeux des uns et des autres". Ces confrontations, hors réunions, permettent ainsi de "sortir de logiques individuelles et individualistes qui ont tendance un peu trop souvent à surresponsabiliser les professionnels, au point de vivre les difficultés qu'ils rencontrent sur un mode personnel au lieu de les considérer, d'une part comme relevant d'un malaise dans l'organisation du travail, et plus largement des évolutions et des transformations que connaissent aujourd'hui les métiers de l'enseignement (…) de l'éducation prioritaire en particulier."
Accompagnement par la recherche dans la durée et la régularité
Cet accompagnement par la recherche nécessite néanmoins d'être inscrit "à la fois dans la durée et dans la régularité si l'on veut que l'activité de ces pilotes deviennent un objet de discussion", observe encore Christine Félix. Dans ce réseau, il a fallu deux ans pour amener "une confiance réciproque" entre les acteurs de l'établissement et les chercheurs, "pour que chacun accepte d'exposer ses manières de faire", "accepte d'expliquer les implicites de [son] action" ou encore de faire "apparaître les différents points d'achoppements entre acteurs".
S'appuyant sur les résultats de cette recherche-action qui a fait l'objet d'une contractualisation entre le rectorat, l'ESPE d'Aix-Marseille et l'équipe ERGAPE (Ergonomie de l'activité des professionnels de l'Éducation) du laboratoire ADEF (Apprentissage, didactique, évaluation et formation), l'IFé propose un cadre méthodologique en listant des "étapes incontournables". Néanmoins, précise Christine Félix, "ce matériau, co-produit avec les professionnels, ne peut se constituer comme ressource qu'à la condition d'être remis à l'épreuve dans et par le collectif qui le mobilise. Il est alors un point de départ à l’activité d'autrui et non le modèle de ce qu’il conviendrait de faire ou de ne pas faire pour co-piloter un réseau d'éducation prioritaire."
L'intégralité du dossier ici
Camille Pons