Comment intégrer le temps des grandes vacances dans la scolarité? (Interview de Bruno Suchaut)
Paru dans Scolaire, Périscolaire le mercredi 05 mai 2010.
"(Il revient à l'école) d'organiser des activités à caractère scolaire pendant l'été, pour que les connaissances de tous les enfants soient réactivées". Bruno Suchaut, directeur de l'Institut de recherche sur l'Education (Irédu-CNRS), livre quelques pistes de réflexions sur la question des grandes vacances, en mettant en avant le caractère discriminant d'un temps long hors scolarité, tous les enfants ne bénéficiant pas de manière équivalente d'une stimulation pendant l'été et d'un accompagnement parental aux révisions avant la rentrée. Alors que Luc Chatel a annoncé la tenue, au moins de juin, d'états généraux pour mieux penser le temps scolaire, le chercheur s'exprime également sur la réduction des vacances d'été.
ToutEduc: Vous avez mené une recherche avec Jean-Pierre Jarousse et Christine Leroy-Audouin sur les activités scolaires des élèves durant les congés. Les grandes vacances pénalisent-elles certains enfants plus que d'autres, en termes de maintien des acquis?
Bruno Suchaut: Entre juin et septembre, les enfants de milieu social défavorisé voient les niveau d’acquisition diminuer alors que c'est beaucoup moins le cas pour les autres enfants. Ceux d'origine sociale favorisée gagnent même en connaissances, parce qu'ils bénéficient d'un environnement favorable et stimulant au niveau socio-culturel. Concernant la densité du travail effectué pendant l'été, nos recherches montrent qu'elle diffère également selon les milieux sociaux. Toutes les familles n'ont pas les mêmes stratégies et comportements, notamment en ce qui concerne la question des cahiers de vacances. Nous avons mis en évidence que le cahier de vacances était un support efficace s’il était totalement achevé par l'enfant. Or, plus l'élève est jeune, plus la présence parentale joue sur la probabilité de son achèvement. Les habitudes parentales de suivi des enfants sont globalement les mêmes à cette période de l'année que pendant l'année scolaire. Au final les inégalités sociales de réussite continuent d'exister pendant les congés, sauf que l'école n’est plus présente pour les compenser.
ToutEduc: L'école devrait-elle prendre à sa charge la remise à niveau des enfants avant la rentrée?
Bruno Suchaut: Il est important pour un enfant de se voir toujours proposer des activités qui stimulent ses facultés cognitives. Dans les milieux favorisés, les parents le font naturellement. Il semble fondé que l'institution organise des activités à caractère scolaire pendant l'été, pour que les connaissances de tous les enfants soient réactivées. C’est d’ailleurs ce qui a été fait à travers certains dispositifs comme les stages de remise à niveau ou encore l’école ouverte.
ToutEduc: Concernant les grandes vacances, ne serait-ce pas un temps propice au développement d'activités extrascolaires, stimulant d'autres compétences chez les enfants? Les mois d'été ne pourraient pas être par exemple dévolus à un engagement citoyen, humanitaire?
Bruno Suchaut: Cela peut en effet être le cas pour les adolescents, mais il est difficile de l’imposer à tous, là encore cet engagement citoyen est très lié à l’origine sociale et culturelle.
ToutEduc: Luc Chatel a annoncé la mise en place d'états généraux en juin pour débattre sur la question des rythmes scolaires. Se pose précisément la question du temps des grandes vacances…
Bruno Suchaut: Ce débat ancien s'inscrit dans un contexte économique qui ne donne pas la priorité au respect des rythmes biologiques des enfants. Les congés d’été représentent en effet une trop grande coupure pour les enfants et une diminution pourrait permettre un meilleur étalement sur l’année et une réduction du temps scolaire journalier. La seule mesure qui parait réaliste, notamment par rapport à la question du tourisme, serait de créer des zones de congés différentes pendant l'été, en fonction des académies. Au niveau de l’école primaire et du collège, l’idéal serait de réorganiser la semaine sur 5 journées beaucoup plus courtes. On ne tient pas suffisamment compte des rythmes naturels de l'enfant. Sur l’ensemble du volume annuel de temps scolaire, une proportion n’est pas véritablement rentable pour les apprentissages des élèves. D’autres pays, comme l’Allemagne ont depuis longtemps permis de dégager les après-midis pour que les enfants puissent se consacrer à des activités sportives ou artistiques. Le danger est néanmoins de laisser les enfants de certains milieux sociaux sans encadrement pendant cette période.
ToutEduc: Dans cette hypothèse de redéfinition des rythmes scolaires, une plus grande autonomie des établissements vous parait-elle souhaitable?
Bruno Suchaut: Il pourrait effectivement y avoir une plus grande souplesse sur ce point, pas obligatoirement au niveau des établissements, mais au moins au niveau des collectivités locales. Notre système souffre d’une obsession égalitaire, mais cet idéal d'égalité ne fonctionne pas car, à tous les niveaux, des stratégies individuelles sont développées pour détourner ce principe. C’est le cas pour les choix d’orientation ou ce qui peut se mettre en place dans certains établissements dans la manière de constituer les classes. Un plus grand degré d’autonomie des établissements pourrait néanmoins permettre une meilleure adaptation de l’offre scolaire aux particularités locales et indirectement de favoriser le pilotage des politiques éducatives. Pour en revenir au temps scolaire, une modification des rythmes demanderait de repenser l'organisation des activités périscolaires et une plus grande autonomie des écoles permettrait la mise en place d’une organisation davantage en phase avec les contraintes des collectivités locales ou de celles des associations périscolaires.
Jean-Pierre Jarousse, Christine Leroy-Audouin, Bruno Suchaut, Les activités scolaires des élèves durant les congés d’été et leurs conséquences sur le niveau des connaissances à la rentrée, Cahier de l’Irédu N°63, Mars 2001.