Quel statut pour les maîtres agréés de l'enseignement privé ? (une analyse d'A. Legrand)
Paru dans Scolaire le dimanche 11 juillet 2021.
Le tribunal des conflits, chargé de préciser les compétences des juridictions des deux ordres juridictionnels en cas de doute, vient de rappeler, dans une décision du 5 juillet 2021, certains éléments importants concernant le statut des maîtres agréés de l’enseignement privé. Rappelons que les établissements privés d’enseignement se répartissent en deux grandes catégories : les établissements privés hors contrat, qui sont simplement soumis à un contrôle de police de l’Etat, et les établissements sous contrat, soumis, en contrepartie d’un financement public, à des obligations plus strictes.
Parmi ces derniers les établissements sous contrat simple, statut désormais réservé aux seuls établissements du premier degré, bénéficient, comme ceux placés sous contrat d’association, d'une prise en charge de la rémunération des enseignants par l'Etat Ils emploient des maîtres "agréés" qui, à la différence des "maîtres contractuels" des établissements sous contrat d’association, ne sont pas liés à l’Etat par contrat, même s’ils sont agréés et rémunérés par lui, mais restent attachés à l’organisme qui gère l’établissement avec lequel ils concluent un contrat de travail.
La situation des maîtres contractuels a longtemps donné lieu à un bras de fer entre les deux ordres juridictionnels, le Conseil d’Etat leur attribuant un statut d’agent public, alors que la Cour de cassation voulait voir en eux des salariés privés. La question a finalement été tranchée par la loi Censi (n° 2005-5 du 5 janvier 2005) qui dispose que les maîtres contractuels des établissements privés d’enseignement, "en leur qualité d'agent public, ne sont pas, au titre des fonctions pour lesquelles ils sont employés et rémunérés par l'Etat, liés par un contrat de travail à l'établissement au sein duquel l'enseignement leur est confié, dans le cadre de l'organisation arrêtée par le chef d'établissement, dans le respect du caractère propre de l'établissement et de la liberté de conscience des maîtres".
Mais cette loi ne s’applique qu’aux maîtres contractuels et ne vise pas les maîtres agréés, dont le statut reste précisé par une jurisprudence unanime des deux ordres juridictionnels: Conseil d’Etat et Cour de cassation s’accordent en effet à reconnaître l’existence d’un contrat de droit privé qui fait de ces maîtres des salariés des organisations gestionnaires de ces établissements relevant des juridictions judiciaires. Cette solution était cependant contestée par une association employant plusieurs de ces maîtres.
L’association Olga Spitzer, spécialisée en particulier dans l’éducation des enfants handicapés, gère une vingtaine d’établissements en Ile-de-France. Elle a passé pour plusieurs d’entre eux et, en particulier celui concerné par le présent litige, l’Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique du Petit Sénart, un contrat simple avec l’Etat. A l’occasion d’un conflit avec certains des enseignants de cet institut, qui avaient saisi le conseil des prud’hommes d’Evry Courcouronnes pour réclamer des rappels de salaires et d’indemnités diverses, elle a contesté la compétence du conseil et réclamé que le litige soit jugé par l’ordre administratif, en réclamant l’alignement de la situation des maîtres agréés sur celle des maîtres contractuels.
Le tribunal des Conflits rejette sa demande et il confirme la jurisprudence antérieure : "les maîtres agréés qui enseignent dans les établissements ayant passé un contrat simple avec l’Etat sont des salariés des organismes de gestion de ces établissements, même si leur rémunération est prise en charge par l’Etat. Les litiges les opposant aux chefs de ces établissements qui se rattachent à l’exécution de leur contrat de travail relèvent de la compétence du juge judiciaire" et "la circonstance que leur rémunération soit versée par l’Etat n’est pas de nature, s’agissant d’un établissement privé lié à l’Etat par un contrat simple, à conférer à ces enseignants, salariés de l’association, la qualité d’agents publics".
Le conseil des prud’hommes peut donc reprendre l’examen de l’affaire.
André Legrand