Que reste-t-il des années Blanquer ? L'analyse du recteur Daniel Bloch
Paru dans Scolaire, Orientation le mardi 28 février 2023.
Daniel Bloch nous adresse cette tribune que nous publions bien volontiers. L'ancien recteur, ancien président du Haut-Comité Éducation-Économie revient sur la réforme en cours de l'enseignement professionnel, et pour lui, le débat n'est pas au niveau. Selon la formule consacrée, les opinions exprimées dans cette tribune n'engagent que leur auteur.
Le président de la République a placé la réforme de l’enseignement professionnel au premier rang des actions à engager au cours de son deuxième quinquennat. De nombreuses questions se posent en effet, à juste titre, quant à son avenir. Afin de répondre aux besoins à venir des entreprises, à quels niveaux de compétences doivent conduire chacun de ses trois principaux diplômes, le CAP, le baccalauréat professionnel et le BTS ? Quelles durées de formation sont-elles nécessaires pour les atteindre ? Quelles formations supérieures proposer aux bacheliers professionnels, mais aussi aux bacheliers technologiques ? Quels liens tisser entre les administrations en charge des enseignements scolaires et des enseignements supérieurs, afin de mieux traiter du dispositif Parcoursup mais aussi pour remettre à niveau les BTS comme l’ont été les DUT, transformés récemment en Bachelors universitaires de technologie, au niveau de la licence ? Des questions essentielles, mais qui ne figurent pas à l’ordre du jour de la « concertation » portant sur l’avenir de l’enseignement professionnel engagée le 21 octobre dernier par la ministre en charge de l’enseignement professionnel. L’extension des périodes de formation en milieu professionnel et la réduction corrélative des enseignements en lycée, annoncées par le Président de la République, mais massivement rejetées, n’y figuraient pas non plus, car présentées comme non négociables. Elles sont cependant demeurées en surplomb de sorte que la seule mesure réellement significative retenue à ce jour par la Ministre, à l’issue de cette « concertation » a consisté en leur retrait.
Depuis l’introduction du baccalauréat professionnel, en 1985, la durée de la vie s’est accrue de huit ans. N’aurait-t-il pas fallu en consacrer une, voire deux, à la formation initiale ? Compte tenu de la quasi-suppression des redoublements tout au long des parcours scolaires et de la réduction de la durée de préparation du baccalauréat professionnel, de quatre à trois années, les bacheliers professionnels qui acquièrent aujourd’hui un BTS, à Bac + 2, l’obtiennent à un âge où leurs prédécesseurs, vingt années plus tôt, obtenaient seulement leur diplôme de bachelier. Deux années en moins. La réduction – en 2009 - de la durée de la formation conduisant au baccalauréat professionnel a conduit à la dégradation de ce diplôme sur le « marché » du travail. Certaines propositions évoquées récemment par la ministre pourraient apparaître comme allant dans le sens d’un allongement de la durée de formation tant pour le CAP que pour le baccalauréat professionnel ou le BTS, sous la forme de formations complémentaires d’initiative locale (FCIL). Ce dispositif existe déjà, à la générosité des collectivités territoriales, qui n’ont guère de moyens à y consacrer. L’enseignement professionnel ne sera pas rehaussé par homéopathie.
La concertation sur l’avenir des enseignements professionnels a été placée, jusqu’à ce jour, sous le seul drapeau de l’enseignement scolaire. Comme l’a souligné, en février 2023, le comité éthique et scientifique de Parcoursup : « le cloisonnement reste de mise entre ceux [des services administratifs] qui suivent les universités et ceux qui ont en charge les formations post - bac des lycées, et il n’y a pas, sauf exception, d’approche globale de l’enseignement supérieur… De manière générale le supérieur et le secondaire sont des mondes qui s’ignorent. » Les bacheliers professionnels, mais aussi les bacheliers technologiques en sont aujourd’hui les principales victimes. Il y a 20 ans, pour l’essentiel, le baccalauréat professionnel était un diplôme terminal, préparant à l’accès direct à un emploi, et le baccalauréat technologique propédeutique à l’entrée en enseignement supérieur, principalement en section de technicien supérieur (STS). Les IUT n’accueillent qu’en petit nombre les bacheliers technologiques, et pratiquement aucun bachelier professionnel. Désormais la plupart des bacheliers technologiques et la majorité des bacheliers professionnels entendent poursuivre leur formation en vue d’obtenir un Brevet de technicien supérieur (BTS). Or le tiers seulement des 320 000 bacheliers technologiques et professionnels obtient un BTS ou un DUT. Un considérable gâchis, tant économique que social. Depuis 20 ans, en effet, les capacités d’accueil en STS n’ont été modifiées qu’à la marge, alors que le nombre de bacheliers professionnels doublait. Et les capacités d’accueil en IUT sont restées inchangées. Accroître, par une politique de « quota », désormais engagée, la proportion de bacheliers professionnels en STS conduit à restreindre celle des bacheliers technologiques, qui n’ont guère d’autres voies de réussite. Or nos entreprises industrielles rencontrent aujourd’hui des difficultés à recruter des ingénieurs, mais ces difficultés ne sont rien au regard de celles auxquelles elles doivent faire face, dès lors qu’il s’agit de recruter des techniciens supérieurs, et plus particulièrement dans les spécialités industrielles. Et pourtant l’augmentation des capacités d’accueil des formations professionnelles supérieures courtes n’est pas à l’ordre du jour.
Franchissons une étape supplémentaire. Le DUT a été introduit en 1966, il y a plus de cinquante-cinq ans. La complexification des technologies nécessitait une année de formation supplémentaire. Au Diplôme Universitaire de Technologie (DUT), préparé en deux ans, a été substitué, en 2019, le Brevet Universitaire de Technologie (BUT), nécessitant trois années de formation, et ainsi désormais au niveau de la licence. Le BTS, créé encore plus tôt, en 1962, doit voir aussi rehausser son niveau. Or la question de la transformation du BTS en Bachelor professionnel, avec un cycle de formation cohérent construit sur les trois années conduisant à ce diplôme, n’est pas non plus d’actualité. Pourtant, imaginons que notre pays dispose, aujourd’hui, en se limitant au secteur industriel, en nombre suffisant, de bachelors en génie énergétique et nucléaire, en génie de l’environnement, en génie du numérique, en microtechnologies, en génie médical, en génie biologique, en génie logistique, en génie électrochimique, en maintenance industrielle….. ne s’en porterait-il pas mieux ? La « concertation » doit changer de niveau.