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L'école Vitruve fête 60 ans d'utopie éducative (Interview d'Yves Reuter)

Paru dans Scolaire le dimanche 04 juin 2023.

L'école publique parisienne Vitruve, qui accueille 240 enfants du CP au CM2 pour 10 enseignants, fêtera ses 60 ans mercredi 7 juin. A cette occasion, ToutEduc a interrogé Yves Reuter, professeur émérite à l'université de Lille, fondateur de l'équipe de recherche en didactiques Théodile (aujourd'hui intégrée au sein du CIREL) et auteur d'un rapport de recherche en 2019.

ToutEduc : Pouvez-vous nous raconter l'histoire de l'école Vitruve, et votre rapport à cette institution ?

Yves Reuter : C'est une école que je connais bien pour l’avoir étudiée pendant deux ans, en 2018-2019, ce qui a abouti à un rapport de recherche remis en 2019 (voir ici). Aujourd'hui, j’accompagne les enseignants dans la rédaction de leur bilan et de leur nouveau projet. Vitruve est une des plus anciennes écoles expérimentales qui pratiquent une pédagogie différente sur Paris. Elle a été fondée en 1962 par l'inspecteur Gloton, qui était en même temps membre du GFEN (Groupe français d'éducation nouvelle).

L'école se situe dans le 20ème arrondissement de Paris, dans un quartier à l'époque caractérisé par un milieu très défavorisé et un taux d'échec des élèves très important. Pour lutter contre cet échec scolaire, Robert Gloton a essayé d'impulser cette pédagogie différente dans plusieurs écoles de l'arrondissement, et aujourd'hui l'école Vitruve est la seule survivante. Bien sûr elle a connu des crises, comme cela arrive dans tous les collectifs, mais les équipes ont toujours réussi à les surmonter et à intégrer de nouveaux collègues.

ToutEduc : Comment définir la pédagogie “différente“ de l'école qui existe depuis maintenant 60 ans ?

Yves Reuter : La pédagogie pratiquée se caractérise en premier lieu par les projets, des projets tous azimuts. Le plus connu c'est la braderie où participent les élèves, les enseignants ainsi que les parents. C'est quelque chose de très important car cela permet aux enfants de partir en classe verte.

Une autre de ses caractéristiques est l'importance des pratiques coopératives, là encore entre élèves, enseignants, et parents. Elles sont généralisées et s'articulent avec les projets. Un des éléments majeurs, c'est aussi d'avoir une gestion collégiale. Chaque année, l'enseignant qui assure la coordination change, ce qui veut dire que tout le monde tourne, s'y prépare, aide. C'est quelque chose d'intéressant qui participe au développement professionnel des enseignants. De façon complémentaire, les enseignants ne conservent pas tout le temps la même classe et le même lieu d'enseignement, ce qui est assez atypique.  ça veut dire que les enseignants apprennent à bien connaître tous les niveaux du cursus et tous les élèves.

Une idée -clé c'est que c'est l'école, et non la classe, qui est l'unité éducative. De très nombreux dispositifs de travail sont mis en place, du travail individuel et du binôme au "groupe école". En plus, dans cette école, les élèves ont du pouvoir. Il existe des conseils où des règlements peuvent être proposés ainsi que des dispositifs de médiation lors des conflits. Ce qui est intéressant c'est qu'il y a une éducation à la citoyenneté qui se fait par la citoyenneté. L'école est ouverte sur le quartier et elle est, de surcroit, reconnue à l'extérieur, y compris sur le plan international. Il y a d'ailleurs de très nombreuses équipes qui viennent la visiter, et des inspecteurs généraux avaient rendu un commentaire très positif sur les pratiques coopératives de cette école.

ToutEduc : N'y-a-t-il pas des critiques à cette école qui semble modèle ?

Yves Reuter : Il y a toute une série d’idées erronées sur cette école, par exemple que ce serait une école de bobos. La composition sociale de l'arrondissement s'est transformée depuis sa création, c'est vrai, mais il y a 20 % d'élèves au moins issus de la pauvreté voire de la grande pauvreté, et il y a un travail d'inclusion important. J'avais pu en juger et il en est de même pour des membres d'ATD Quart Monde qui sont venus dans l’école.

ToutEduc : Qu'apporte cette pédagogie de plus pour les enseignants et les élèves ? Ont-ils une bonne réussite ?

Yves Reuter : En termes de résultats, on peut dire que les résultats sont au moins équivalents à ceux des autres écoles, et qu'ils sont meilleurs sur toute une série de compétences transversales ou psychosociales comme la capacité d’auto-organisation ou celle de travailler en équipe. Chez les enseignants, il y a un turn-over qui est plus faible, ils se trouvent bien et ça répond à leurs désirs éducatifs. Ils n'ont pas envie d'aller dans d'autres écoles, ils sont heureux d'être là. ça change du sentiment négatif que l'on peut retrouver ailleurs.

ToutEduc : Leur liberté pédagogique, et donc leur spécificité n'est-elle jamais remise en question ?

Yves Reuter : Il suffit de passer quelques jours dans l'école pour voir à quel point ce qui se fait est intéressant. Les enseignants ont cette liberté pourvu que les conventions soient reconduites (soit à peu près tous les 5 ans). Mais à chaque reconduction il y a quelque chose de l'ordre du risque. C'est le problème avec l'Education nationale, qui a pourtant un discours laudatif sur l'innovation. C'est un peu dommage même si c'est normal que l'EN contrôle les écoles à un moment donné. Mais on est sans doute plus exigeant pour ces établissements que pour nombre d’autres qui reconduisent les mêmes pratiques d’année en année. Pourtant, une des caractéristiques de l'école Vitruve c'est que les enseignants sont constamment dans la réflexion, Il me semble en tout cas que la longévité de cette école est très intéressante du point de vue des innovations et des expérimentations. Qu’est-ce qui fait qu'une démarche originale puisse perdurer ?

ToutEduc : Justement, qu'est-ce qui fait, selon vous, que ce modèle perdure ?

Yves Reuter : Je crois que la direction tournante a été quelque chose de déterminant, car l'expérimentation n'était pas attachée à tel ou tel leader.

Sans ça, dans leur projet ils tirent par exemple des leçons de ce qui s'est passé pendant le Covid, car c'est presque plus compliqué quand on pratique des méthodes différentes, actives d'établir, et puis de retisser des liens. A Vitruve, ils réfléchissent aussi constamment à l’amélioration des liens avec les familles de milieu défavorisé. Il y a vraiment un travail de fond qui est fait. Un des intérêts complémentaires de cette école, c'est de conserver la mixité sociale, alors que cette mixité devient de plus en rare à Paris.

Le site de l'école Vitruve ici

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