Quels sont les arguments en faveur des politiques éducatives fondées sur des "données probantes" (Gauthier, Bissonnette, Van der Maren)
Paru dans Scolaire le lundi 20 novembre 2023.
Au Québec, la création par le ministre Bernard Drainville d’une nouvelle instance, l’Institut national d’excellence en éducation provoque "une levée de boucliers" qui s'accompagne d'une critique en règle des "données probantes" (evidence based policies en anglo-américain, ndlr). Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Jean-Marie Van der Maren, qui sont très favorables à la création de l'INEÉ publient en réponse aux critiques un long plaidoyer (92 pages) pour des politiques publiques fondées sur des "données probantes".
"Le recours aux données probantes (...) est très peu utilisé en formation à l’enseignement et, lorsque l’on s’y réfère, c’est davantage pour le critiquer", remarquent-ils, mais, ajoutent-ils aussitôt, "c’est grâce aux données probantes" que l’on sait maintenant que "l’enseignement en fonction des styles d’apprentissage est inefficace, l’enseignement en fonction des types d’intelligence (Gardner) est inefficace, les pratiques de redoublement sont plutôt à éviter, les classes homogènes sont inefficaces (particulièrement pour les élèves faibles), les méthodes d’enseignement de la lecture centrées sur le code écrit sont plus efficaces que les méthodes globales, le renforcement positif est plus efficace que la punition, diminuer de moitié le nombre d’élèves par classe n’améliore pas automatiquement la réussite scolaire des élèves."
Les auteurs contestent que l'enseignant soit "le mieux placé pour évaluer l’efficacité d’un programme ou d’une stratégie pédagogique", des "biais cognitifs" peuvent "interférer et tromper le jugement des acteurs".
Ils contestent également que la généralisation des expérimentations échoue systématiquement. "On connaît déjà des cas de généralisation réussie." Ils donnent deux exemples, celui d'un programme conçu pour l’enseignement de la lecture (Success for all) et d'un autre "sur la réduction de l’indiscipline" (PBIS). Ils ajoutent toutefois que l'échec d'un programme ne signifie pas qu'il n'est pas valide, "le peu d’efficacité que démontrent les résultats d’un programme peut être causé non pas par un manque d’efficacité du traitement et des interventions, mais par des faiblesses dans sa mise en œuvre".
Autre argument qu'ils contestent, le ministre n'aurait pas à dicter aux enseignants ce qu'ils doivent faire : "Il n`y a pas, selon nous, de problème à ce que l’État se mêle de pédagogie. En revanche, il y en a un énorme quand l’État prescrit des approches pédagogiques qui ne fonctionnent pas. C’est ce qui est arrivé avec la réforme des années 2000 au cours de laquelle le socio-constructivisme a été implanté." Bien sûr, "l’idéal serait sans doute que les enseignants puissent choisir entre des approches dont l’efficacité a été démontrée. Or, la palette des choix possibles n’est pas si grande, car il y peu d’approches dont l’efficacité a été montrée rigoureusement. À ce sujet, il y a des organismes (...) qui font du travail sérieux d’analyse et de validation des recherches portant sur les bonnes pratiques. C’est du travail de recherche d’envergure que seuls des experts patentés peuvent réaliser. L’enseignant n’a ni le temps, ni l’expertise pour ce faire."
Les trois chercheurs comparent enfin les résultats de "la pédagogie différenciée" (user de méthodes différentes pour des élèves différents) et la RàI (réponse à l’intervention, user de la même méthode avec tous les élèves, mais en variant "l’intensité et la durée") : alors que "la pédagogie différenciée ne bénéficie à peu près pas de soutien dans la littérature scientifique sur le plan de son efficacité, la seconde approche, la RàI a fait l’objet de nombreuses mesures et évaluations d’efficacité."
Le document (version provisoire) "La pertinence de l’utilisation des données probantes en éducation à la lumière des rapports théorie-pratique", Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Jean-Marie Van der Maren, est téléchargeable sur le site de l'Université à distance de Québec (Teluq) ici