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Parentalité: "Il faut arrêter de sur-responsabiliser les parents" (Gérard Neyrand)

Paru dans Petite enfance, Scolaire, Périscolaire, Orientation le mercredi 13 juillet 2011.

Gérard Neyrand est sociologue, professeur à l'université de Toulouse-III et directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d'études et de recherches en sciences sociales (CIMERSS) à Aix-en-Provence. Spécialisé dans l'étude des modes de régulation de la vie privée, notamment sur la question de la parentalité, il dénonce dans un ouvrage à paraître le 6 octobre, "Soutenir et contrôler les parents: le dispositif de parentalité", le discours politique qui sur-responsabilise les parents alors qu'ils ne sont pas les seuls à éduquer les enfants. Il prône une démarche préventive précoce, généraliste et sans discours culpabilisant et estime qu'il faut agir aussi sur l'environnement social, économique et urbain des populations les plus précaires.

ToutEduc: Vous dénoncez une sur-responsabilisation des parents. Comment en est-on arrivé à ce discours?
Gérard Neyrand:
La parentalité devient à la mode dans les années 90, dans les discours politiques notamment, et désigne une évolution globale, celle d'une société qui s'est recentrée progressivement sur le rapport à l'enfant et non plus à la famille. C'est à ce moment là aussi que naît l'idée de parent démissionnaire. Mais l'importance donnée à la parentalité remonte loin. Avec la montée de l'individualisme, affirmé par la Révolution et renforcé par le capitalisme, et avec l'accroissement progressif de la place de l'enfant au 20e siècle. Les interrogations sur la parentalité sont ensuite renouvelées avec la diversification des acteurs parentaux qu'ont provoquée les ruptures conjugales et les progrès de la médecine et de la procréation. S'y ajoutent dans les années 90 les discours qui, sous l'influence des progrès psycho-cliniques, mettent en avant l'importance des premiers moments de la vie dans la constitution du futur adulte. La revue "Parents" était la première à voir le jour en 1969 mais depuis les revues de ce type ont proliféré, "Mon Papa", "Famili"...

Ces discours contribuent à masquer l'importance des autres instances éducatives. Ils confèrent une responsabilité excessive à l'action des parents dans l'éducation des enfants alors que paradoxalement ces derniers passent moins de temps avec leurs enfants: les deux parents travaillent, les congés maternité sont courts, les congés paternité encore plus.... Très rapidement, l'enfant bénéficie d'une nounou, d'une crèche, etc. Et il passe presque autant de temps devant un écran qu'à l'école... L'enfant est socialisé de multiples façons, et l'éducation partagée! Le discours sécuritaire sur la délinquance et la violence renvoie tout sur les parents, et c'est réducteur. De la même façon, il n'y a pas plus d'agressions qu'il y a trente ans mais elles sont plus visibles et on y est plus sensible. Il faut arrêter de sur-responsabiliser les parents mais aussi de réduire les dysfonctionnements aux troubles d'une petite partie de la jeunesse.

ToutEduc: Pourtant, le "parent défaillant" reste d'actualité et les mesures semblent passer de plus en plus par le contrôle et la sanction. Comment l'expliquez-vous?
Gérard Neyrand: Le discours du gouvernement est une façon de se dédouaner de la façon dont il pourrait assurer une meilleure éducation des enfants. Le discours sur la démission des parents, surtout porté par la droite n'est objectivement pas adéquat. Quand on interroge les parents, tous veulent que leurs enfants réussissent à l'école, même si parfois ils ne savent pas faire! Il ne s'agit donc pas de démission mais de désarroi. C'est d'ailleurs pour contrer ce discours que Jospin a lancé les REAPP (Réseaux d'Écoute, d'Appui et d'Accompagnement des Parents) en 1999 à l'issue de la Conférence de la Famille, qui ont permis de mettre en réseau les pratiques associatives de soutien à la parentalité, des institutions et des réglementations. Mais on assiste à nouveau à un changement dans les années 2000 avec le discours tenu sur la délinquance et le dérapage de certains jeunes qui prend de plus en plus d'importance car il est porté par le ministre de l'Intérieur devenu aujourd'hui président.

Le recadrage des parents suit aujourd'hui deux logiques. La logique sécuritaire: dans le cadre de la prévention de la délinquance, on parle de défaillance des parents. Et une logique néolibérale où l'on applique des modèles de management également dans les secteurs de l'éducation, du soin, du social... On demande par exemple de mesurer les effets de tous ces dispositifs qui ne sont pas forcément facilement évaluables. Procéder avec des critères statistiques est très peu adéquat pour beaucoup d'entre eux. Comment évaluer l'impact positif d'une Maison Verte? Et pour ce faire, les éducateurs ou travailleurs sociaux doivent donc observer les parents, ce qui contribue évidemment à faire chuter la confiance. Les éducateurs, enseignants et travailleurs sociaux ne refusent pas d'évaluer mais souhaitent être associés à la production de l'outil d'évaluation.

ToutEduc: Quelles seraient les bonnes mesures à mettre en œuvre?
Gérard Neyrand:
Ces discours de plus en plus forts tiennent très peu compte de l'environnement et des conditions de vie. Or, quand on est dans des situations très précaires, lorsqu'on vit dans la pauvreté, que l'on est au chômage par exemples, il est difficile de bien exercer la fonction de parentalité. Les études l'ont montré, les conditions de vie dans lesquelles on se trouve influent sur la réussite à l'école. Si l'on n'agit pas sur les conditions de socialisation des enfants, la prévention des troubles ne se fera pas. Cela renvoie au social, à l'économique mais aussi à l'aménagement du territoire en luttant contre la construction des quartiers ghettos.

De plus on s'attaque à la prévention beaucoup trop tard. Si des jeunes sombrent dans la délinquance, c'est parce qu'ils n'ont plus de perspectives, sauf à être marginalisés de la société. Et, avec 10 ans de recul, les mesures prises par l'actuel président montrent une relative inefficacité car elles interviennent trop tard. Il ne faut pourtant pas rentrer dans la prévention au plus jeune âge dans une optique répressive, ce que dénonçait "Pas de zéro de conduite", mais faire de la prévention généraliste. Les classes passerelles y contribuent tout comme l'accueil des enfants de 2 ans à l'école maternelle. Arrêter cet accueil est d'ailleurs totalement contre-productif parce qu'il profitait justement aux publics les plus précaires, qui ont des carences éducatives et ne peuvent se payer des nounous, une crèche, la halte-garderie... L'accueil précoce permet de compenser ces carences!

Le dispositif de prévention doit essentiellement passer par l'information des parents, qu'ils sachent à qui s'adresser et avec un discours déculpabilisant! L'inverse, sachant que l'on touche les populations les plus précarisées, aurait tendance à les rendre plus méfiantes, à les inciter à se replier encore sur elles-mêmes et à contaminer du même coup la vision de tous les autres dispositifs de soutien et d'accompagnement. Les REAPP ont justement permis de mettre en réseau les mesures d'accompagnement, y compris le soutien scolaire et les groupes de parole des parents. Et ils ont la vocation à soutenir, non à aider, c'est-à-dire accompagner pour faire et non faire à la place de...

"Soutenir et contrôler les parents: le dispositif de parentalité", Erès-Poche Société, 170 p. (parution le 6 octobre 2011)

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