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Quand les livres relient... les tout petits

Paru dans Petite enfance le vendredi 02 octobre 2009.

Aux murs de la salle, des dessins d’enfants aux couleurs vives. Sur l’un d’entre eux, une famille africaine se tient par la main. Sur un second, une maison et un bus sont ébauchées. Au feutre vert, en guise de légende, est inscrit en lettres rondes « Ici, on vous lit des livres ». Tous les mardis matin s’est mis en place au Petit Ney un atelier de lecture pour enfants. Le café littéraire, situé au nord de Paris, accueille les tous petits, de la naissance à 3 ans, accompagnés de leurs parents ou de leurs assistantes maternelles. Chaque séance, ils sont environ une quinzaine d‘enfants, pour 6 adultes. Une estrade en bois est posée contre le mur. La lecture prendra place à cet endroit précis. Nécessaire règle instaurée, les enfants ne pourront pénétrer ce prés carré réservé à la lecture. 

Maëlle, Julien, Thomas, Sarah, Noé, Anaïs arrivent portés par les bras d’adultes, ou en poussette. Ils se saluent d‘un geste timide de la main, comme si une sociabilité enfantine se créait autour de ce rendez-vous hebdomadaire. Élodie, bénévole, écrit les prénoms des jeunes participants sur une feuille blanche. S’ils le souhaitent, en dessous de leur prénom, ceux-ci sont invités à signer au feutre vert. Les adultes et certains enfants s’assoient en cercle autour de l‘estrade, sur des chaises en bois. D’autres petits ont pris place confortablement sur les coussins qui ont été déposés au sol. Audrey, animatrice, tire d’une main une chaise laissée vide pour rentrer dans le cercle et rejoindre l’estrade. « Je rentre par une porte brune » dit-elle avec mystère aux petits. Tenimba, stagiaire depuis deux semaines, actionne un bâton de pluie. Équivalent des trois coups frappés au théâtre, le petit son de perles qui s’échappe du bois ouvre symboliquement la séance. Comme à chaque rendez-vous, Audrey s’est munie du reconnaissable « sac à malice », rempli de cartes à chanson. Proposées en éventail, comme un jeu, les cartes sont choisies au hasard par les doigts des enfants. Sur l’une des cartes piochées, un choux est peint. Enfants, comme adultes, se mettent alors à entonner la comptine « savez-vous planter les choux ».  La lecture des livres peut commencer. Élodie a préparé la lecture de deux albums : « Marie est partie », puis « Salut ». La lecture de chacun des livres se déroule sur le même modèle: Élodie présente d’abord le livre aux enfants, lit le titre du livre, puis le nom de l’auteur. Elle tient l’ouvrage aux bout de ses doigts, afin que chaque petit spectateur puisse apercevoir les pages qui se tournent, les couleurs, les dessins, la forme des lettres. Audrey relaie ensuite sa collègue avec de nouvelles lectures. Après les comptines, les lectures sur l’estrade, le troisième rituel du rendez-vous prend place: « Le bain de livres ». Chaque enfant est autorisé à s’emparer d’un livre. Libre à lui de le lire tout seul, de jouer avec la forme, ou de le tendre à un adulte pour lecture. Ce moment rappelle que si le livre contient une histoire, il est aussi un objet en carton, que l’on peut observer, ouvrir, fermer, dans lequel on peut mettre le visage. Surtout, les enfants voient leurs propres désirs convoqués et réalisés. La personnalité de chacun se révèle dans cet exercice: Certains petits écoutent l’histoire ; d’autres jouent avec les couvertures cartonnées; d’autres, enfin, observent, laissent aller leurs grands yeux ébahis sur les groupes de lectures qui se sont formés, captent à la volée une bribe d’histoire : Celle de pif la terreur, des têtards, ou du loup.  Pour finir, les enfants sont invités à ranger les livres dans la caisse verte qu‘Audrey leur présente. Julien range maladroitement un petit album . « C’est bien », acquiesce Audrey. Dernière ronde, puis la séance s’achève. Une heure au total.

La matinée littéraire du Petit Ney est soutenue par l‘agence "Quand les livres relient" dont elle partage les valeurs. En 2002, plusieurs associations spécialisée dans la lecture de livres aux petits se sont réunis pour créer cette Agence nationale des pratiques culturelles autour de la littérature jeunesse. Inspirée par les réflexions de René Diatkine, Tony Lainé et Marie Bonnafé qui ont lancé la première association du genre, ACCES, en 1981, l’agence est sensibilisée aux enjeux de l’éveil culturel des enfants: « Le livre ouvre un espace aéré (…). En ce lieu, on y apprend de l’autre, de ce qui le fait, le fonde, être humain, de parole, d’histoire et de culture. Et dès lors, on s’y découvre » considère Patrick Ben Soussan, pédopsychiatre et psychanalyste. Les membres reçoivent tous une formation, propre à aiguiser l‘esprit critique de l‘adulte lecteur et médiateur. Elodie et Audrey ont suivi plusieurs séances dispensée par l’Arple. L’organisme intervient auprès de bibliothécaires, enseignants, éducateurs, animateurs, personnels de la petite enfance. «Pendant nos formations, raconte Elodie, nous apprenons à lire avec des intonations les plus neutres possibles. Prendre un ton menaçant ou rieur, ce serait déjà imposer une lecture de l’ouvrage à l’enfant. Nous ne voulons pas influencer leur imaginaire avec nos ressentis d’adultes ».  Les lectrices travaillent avant tout à stimuler l’imaginaire propre à chaque enfant. « Je parle d’une porte brune. D’un sac à malice. Il s’agit de casser la réalité des adultes, de réintroduire du voyage », confirme Audrey. La formation insiste aussi sur l’importance d’instaurer des rituels. « Chaque semaine, continue la jeune animatrice, le rendez-vous se déroule sur le même schéma : Comptines, lectures, bain de livres, rangement, rondes. Ces rituels sont une manière de structurer les enfants. En même temps, ils introduisent un lien entre les personnes, du collectif. Les moments sont attendus et partagés. »

Ces rituels sont aussi une manière de rendre moins tendus les adultes peu familiers des livres, alors que 9% de la population entre 18 et 65 ans est en situation d’illettrisme. Lorsque les familles viennent à une lecture, elles sont dans une posture d’écoute, d‘abandon. Il n’existe ni enjeux pour les parents, ni enjeux pour les enfants. Le livre a une rôle fédérateur et pacificateur. Pas trop de texte, une à deux lignes par page, des couleurs, une simplicité de forme, les lectrices choisissent les livres en fonctions de critères précis. Elles réservent les plus complexe aux lectures individuelles. « Les livres qui fonctionnent bien avec les petits, observe Audrey, évoquent la peur, la frayeur. L’histoire de la poule rousse, par exemple, est chargée d’ombres. En même temps, elle plaît aux enfants parce qu’elle joue sur une complexité d’émotions. Une page dresse une situation de crise. La seconde réconforte. » 

Les intervenantes ne demandent aucun retour sur les séances. L’acte de lecture est totalement gratuit. Les livres ne sont jamais explicités ou débattus avec les enfants. Ce serait prendre le risque de leur imposer des points de vue d’adultes. « Les petits spectateurs ne doivent être amenés ni à intellectualiser, ni à moraliser les histoires, ce qui est un réflexe chez les parents. Quand, par exemple, un enfant pose une question, nous ne leur répondons pas. Nous la leur renvoyons : Qu’est ce que tu en penses, toi ?  Quand l’enfant formule un avis propre, il grandit. » Une fois, alors que l’un des personnages tenait un balai dans ses mains, un enfant a questionné Audrey, curieux de savoir s'il avait affaire à une maman ou un papa. Il se peut qu’ayant spontanément réagi, Audrey ait répondu qu’il s’agissait d’une maman, prise dans certains archétypes adultes sur le féminin. « Au lieu de cela, j’ai laissé l’enfant chercher. Contre mes attentes, il a conclu : c’est un papa », se souvient la jeune femme.  Par ailleurs, les lectrices ne disent jamais aux enfants ce qui est bien ou mal, ce qui reviendrait à émettre un jugement moral. « Tout à l’heure, illustre Audrey, l’un des petits a mis un livre dans la caisse. J’ai dit : C’est bien. Je m’en suis mordu la langue. Il suffisait de dire merci. »

Les résultats de ces lectures, en terme d’accès à la culture ou de lutte contre l’illettrisme, sont difficiles à évaluer. Elles restent de l’ordre du sensible, de l’émotionnel. Présente lors de la journée d’étude du 18 septembre 2009 organisée à Mont Saint-Agnan (76) par l‘agence « Quand les livres relient » (avec Lire à voix Haute-Normandie), Joëlle Turin, critique et formatrice en littérature pour la jeunesse, a posé en des termes concis l’impact de la lecture sur le développement des touts petits. « Grandir pour un enfant, c’est passer d’un état de fusion avec la mère à un état d’autonomie, ouvrant sur les autres. Le livre aide à résoudre les problématique liées à ce passage ». Elle a énuméré les 5 problématiques en question: L’apprentissage des connaissances. Celui-ci est grandement facilité par le jeu et une certaine décontraction. La gestion de la peur. La forme littéraire permet d’aborder des questions graves sans effrayer. Le questionnement philosophique. Les livres répondent à de grandes questions: Pourquoi suis-je là? A quoi cela sert-il? Le décentrement. Les histoires aident l’enfant à s’ouvrir à ce qui ne lui ressemble pas. Enfin, l’émotivité. La littérature pour enfants convoque tout un panel d’émotions dans lesquelles les petits peuvent se reconnaître: la jalousie, la colère, l’amour… et qu’ils peuvent ainsi mieux identifier.

A noter que d'autres associations procèdent différemment, le lecteur (une lectrice le plus souvent) attend qu'un enfant choisisse un livre dans "la malle aux trésors", et le lui lit à lui, personnellement, les autres enfants présents pouvant profiter de la lecture, avant que ce soit leur tour de marquer leur préférence pour tel ou tel album.

 

 

 

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