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"Avenir lycéen" : l'affaire prend une dimension politique, voire pénale (dépêche complétée de la réponse de J. Monteux et de la réaction de J-M Blanquer)

Paru dans Scolaire le dimanche 22 novembre 2020.

Les députés des groupes "La France insoumise" et "Gauche démocrate et républicaine" déposent conjointement une "proposition de résolution" visant "à la création d'une commission d'enquête sur l'activité du syndicat Avenir Lycéen, ses liens avec le pouvoir exécutif et les actions de contrôle du ministère de l’Éducation nationale sur ses membres et son action", après les révélations de Mediapart (voir ToutEduc ici) et de Libération (ce 21 novembre) : "En application des articles 137 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargés de contrôler l’action du syndicat Avenir Lycéen, d’établir ses liens avec le pouvoir exécutif et d’analyser le contrôle effectif du Ministère de l’Éducation nationale sur les dépenses du syndicat."

Le SNES-FSU "exige l’ouverture d’une enquête administrative indépendante" qui "devra déterminer la totalité des raisons pour lesquelles l’administration centrale a agi dans cette affaire, si elle l’a fait sur ordre ou sur pression politique". Pour sa part, "SUD éducation considère le dépôt d’une plainte pénale pour détournement de fonds publics et négligence d’une personne dépositaire de l’autorité publique, afin d’obtenir la vérité sur l’implication du ministre et de son entourage dans cette affaire".

Les députés signataires* de la PPR font notamment valoir que le ministre a demandé une enquête administrative à la DGESCO (la direction générale de l'enseignement scolaire) qui est le service "soupçonné par les deux journaux d’avoir créé avec diligence le syndicat Avenir Lycéen". Et ils demandent : "Comment ce service du ministère de l’Éducation nationale peut-il impartialement mener une enquête administrative au sujet des dépenses de l’association ?"

En effet, l'article paru sur 4 pages et à "la une" de Libération daté des 21 et 22 novembre ne met pas en cause directement le ministre, mais Jean-Marc Huart qui était DGESCO (directeur général de l'enseignement scolaire) au moment des faits (il a été nommé recteur de la région académique Grand Est en août 2019). Le quotidien rappelle que le Médiapart avait démontré que cette association avait touché 95 000 € (65 000 en 2019 et 30 000 en 2020). Elle a été créée le 12 décembre 2018, et, selon les témoignages recueillis par notre confrère, utilisée par les rectorats de Créteil et Orléans-Tours pour faire passer des messages anti-blocage. Plusieurs établissements faisaient en effet à cette date l'objet de blocages contre la réforme du baccalauréat. Selon leurs dires, les lycéens se sont vu imposer des tribunes et des messages sur les réseaux sociaux rédigés par les services de communication des rectorats.

Des membres fondateurs qui ne sont plus lycéens mais restent influents

Les lycéens auraient surtout été manipulés par trois étudiants, anciens élus dans des CAVL (Conseils académiques de la vie lycéenne), qui auraient tissé des liens étroits avec l'administration du ministère, notamment avec Jean-Marc Huart qu'ils appelleraient par son prénom et tutoieraient. "Les quatre fondateurs", réunis dans un comité de veille "décidaient de tout", témoigne l'un des membres de l'association, ancien porte-parole. Le quotidien indique qu'Avenir lycéen a obtenu deux des quatre postes réservés à des lycéens au CSE (Conseil supérieur de l'éducation) en avril 2019. Les deux élus sont systématiquement "sur la ligne du gouvernement".

Les députés rappellent que Médiapart a révélé que "des responsables du syndicat Avenir Lycéen" avaient réalisé "des dépenses astronomiques", que les "deux tiers de la subvention de 2019 "devait servir à l'organisation d'un congrès fondateur d'après la convention d'objectifs signée avec le ministère de l’Éducation nationale", mais que "cet événement n'a pas eu lieu". Le ministre assure avoir reçu le "compte rendu financier", les "états financiers" et le "rapport d’activité" prévus par la convention, et affirme qu'il n’y a eu "aucun laxisme [...] dans le contrôle financier de cette association", ce dont doutent les signataires : "il semble n’y avoir aucune trace du 'contrôle financier' qu'évoque le ministère. En effet, le service chargé dudit contrôle n’est autre que la Direction générale de l’enseignement scolaire dont le directeur de l’époque (...) serait, selon Libération, à l’origine même de la création du syndicat Avenir Lycéen. Le ministre de l’Éducation aurait lui-même sollicité le DGESCO ainsi que plusieurs hauts fonctionnaires de son administration pour qu'ils rassemblent des lycéens favorables aux politiques éducatives du ministre Blanquer."

Qualifications pénales

Ils ajoutent que "si la mainmise du Ministre sur cette association était confirmée, il pourrait alors s’agir d’un abus d'autorité et d’une mise en péril de mineurs (...). S'il est avéré qu’un ministre a organisé en association des lycéens mineurs avec de l’argent public dans le but de faire le soutien et la publicité de ses politiques éducatives, que cette association utilise d’importants fonds publics pour des dépenses somptuaires et purement personnelles, le tout dans l’inaction totale du ministre, alors on ne pourrait écarter l’hypothèse d’un trafic d'influence." Ils font valoir de plus "une inégalité de traitement entre les différents syndicats lycéens", puisque "les syndicats d’opposition subiraient des refus ou des baisses de subventions", le MNL (Mouvement national lycéen, "ex-UNL-SD") "affirme ne pas avoir eu de réponse à la suite de leur sollicitation du ministère en 2019 et un refus en 2020. Quant à l'Union nationale lycéenne (UNL), sa subvention est passée de 80 000 euros en 2018, à 40 000 euros en 2019 et 20 000 euros pour 2020."

Les réponses de J. Monteux et J-M Blanquer

A noter que l'un des trois cofondateurs d'Avenir lycéen, Nathan Monteux (avec Maxence Duprez, Marc-Olivier Lise) publie un communiqué dans lequel il dénonce des "témoignages mensongers" et leur "instrumentalisation" par des "opposants à la politique du ministre de l’Éducation Nationale". Il indique qu'ils ont créé ce mouvement alors qu'ils étaient "en fin de mandature" dans des "instances lycéennes" (des CAVL, ndlr) parce qu'ils croient "au dialogue et en la co-construction" et ajoute qu'ils ont rassemblé des lycéens "qui venaient de la gauche modérée jusqu’à la droite modérée (...) et qui souhaitent rester hors de toute logique partisane". Il ajoute : "Personne ne nous a manipulés (...). À aucun moment notre association n’a été utilisée à des fins politiques.". Il précise : "C’est vrai, nous étions les seuls à porter une autre voix que celle de l’extrême gauche syndicale (...). Notre choix a été clair : la proposition. Proposer et en finir avec l’opposition systématique."

Interrogé sur RTL, le ministre a estimé qu'il ne serait pas gêné par une commission d'enquête. "J'aime bien quand il y a des enquêtes, c'est très intéressant pour la démocratie. Mais là, si vous regardez de près ce qui est dit dans ces articles, il y a vraiment beaucoup de sauce et peu de lapin. On voit bien que Libération et Mediapart essayent de faire une affaire à partir de rien. Vous avez juste des lycéens qui ont peut-être dépensé de manière inopinée l'argent qu'ils avaient. J'ai tout de suite demandé une enquête là-dessus, point à la ligne". Et il ajoute au sujet des accusations de La France insoumise : "C'est très frappant de voir cela dit par LFI alors que c'est un secteur qui depuis des années essaye d'avoir une influence sur le milieu lycéen et estudiantin. Les liens sont énormes entre eux. C'est vraiment le pompier pyromane." (le site de RTL ici)

* A ce jour Michel Larive, Muriel Ressiguier, Sabine Rubin, Jean-Luc Mélenchon, Clémentine Autain, Ugo Bernalicis, Eric Coquerel, Alexis Corbière, Caroline Fiat, Bastien Lachaud, Danièle Obono, Mathilde Panot, Loïc Prud'homme, Adrien Quatennens, Jean-Hugues Ratenon, François Ruffin, Bénédicte Taurine, Alain Bruneel, Marie-George Buffet, André Chassaigne, Pierre Dharreville, Jean-Paul Dufrègne, Elsa Faucillon, Sébastien Jumel, Jean-Paul Lecoq, Stéphane Peu, Hubert Wulfranc, Régis Juanico.

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