Le ressenti d'une “dégradation des relations entre les parents et l’École“ (IGESR)
Paru dans Scolaire, Périscolaire, Orientation le lundi 11 avril 2022.
“L’idée que l’école se construit avec les parents est récente et a du mal à prendre forme dans la réalité du système éducatif français“ peut-on lire dans un rapport de l'IGESR daté de septembre 2021 et que ToutEduc a trouvé sur le site de l'OZP, malgré sa non-publication par le ministère.
Pour les inspecteurs généraux de l'Education nationale, la relation école-famille est en effet “difficile“, en premier lieu car “la conception des formes que doivent prendre les relations entre l’École et les familles ne va pas de soi et a évolué“. Ils estiment que “toutes les familles n’entretiennent pas les mêmes types de rapports avec l'école et n’ont pas les mêmes attentes“, mais également que “la place des parents et les modalités de rencontre doivent être discutées et clairement énoncées dans le projet éducatif de l’école ou de l’établissement".
Pilotage et concept
Au niveau décisionnel, la mission de l'IGESR, essentiellement menée en visioconférence en raison de la pandémie, indique que la coordination et la cohérence dans les orientations et actions “font actuellement défaut“, auquel s'ajoute un manque de continuité dans le pilotage national, dit en “dents de scie“.
De même, les académies sont dépeintes comme “souvent dépourvues d’un pilotage complet sur le sujet des relations École - familles“. A titre d'exemple, la moitié des académies auditionnées ont un référent missionné sur le suivi des relations avec les familles, mais ceux-ci “ont très rarement“ une lettre de mission, un document qui “permettrait pourtant de cerner la mission assignée, en articulation avec les autres acteurs“.
Est également souligné “un manque de stabilisation de certains concepts aux contours imprécis ainsi que la multiplicité des domaines intégrant cette thématique (prévention du décrochage scolaire, climat scolaire, numérique, parentalité, grande pauvreté)". Les principes de la co-éducation, citée en exemple, traduisent une “réelle et forte ambition de l’institution“ et “pourraient structurer la feuille de route d’un pilotage des relations École - familles“, mais constituent néanmoins “toujours un horizon d’attentes“.
Ce concept n’est d'ailleurs “pas perçu sur le terrain comme suffisamment clair pour être pleinement opérationnel". Aussi pour les inspecteurs généraux, “l’institution ne peut pas s’en remettre à l’appréciation personnelle des acteurs et doit définir clairement les formes de collaboration à construire avec les familles.“
Surtout, la mission constate le paradoxe entre “la non-stabilisation des concepts mobilisés lorsqu’il s’agit de la relation École - familles, alors que, dans le même temps, la communication officielle du ministère sur la Mallette des parents indique qu’elle ‘est conçue pour les équipes éducatives volontaires afin de mettre en œuvre la coéducation, repenser les conditions d'accueil des parents et leur participation à la vie scolaire et accompagner la construction d'un lien de confiance'. Le flou conceptuel n’aide pas les acteurs à s’inscrire dans l’action. La part dédiée à la formation sur cette thématique dans le volume total de la formation, est faible.“
Formation
La formation des enseignants est en effet un des autres points sensibles du rapport. Pour les inspecteurs généraux, la formation initiale “est généralement succincte sur le sujet, dans les thématiques abordées comme dans le volume horaire dédié“, tandis que la formation continue est “peu présente et peu pilotée“.
Ils indiquent que les personnels “expriment régulièrement un besoin prégnant de formation juridique, qui intègre la relation, potentiellement contentieuse, aux familles, notamment en matière de situation de harcèlement, et de tout ce qui relève du droit scolaire (sanctions / punitions, conseil de discipline..).“
Au final, si ressort le manque de formation des enseignants pour dialoguer avec les parents, il amène surtout “des situations de simple divergence de points de vue à se transformer quelquefois en situations conflictuelles ou en positionnements défensifs.“
Les relations entre l’École et les familles sont complexes et délicates, notent les rapporteurs de la mission, qui distinguent quatre profils de parents (intrusifs, agressifs, invisibles, solidaires).
Relations complexes
Du côté des professionnels de l’éducation, bien qu'ils “considèrent une implication raisonnée des parents dans l’École comme un élément positif, ils attendent plutôt un positionnement des parents vis-à-vis de l’École qu’une réelle coopération“, expliquent-ils, où les parents sont considérés comme des “relais“ et ne doivent pas s'immiscer dans des considérations d’ordre pédagogique, “ces interventions étant vécues comme une atteinte à la liberté pédagogique des enseignants".
La mission constate en outre un “ressenti d'une dégradation des relations entre les parents et l’École“, un climat de défiance entre l’École et les familles “qui résulte à la fois d’une insatisfaction des parents vis-à-vis d’une école qui ne semble plus tenir ses promesses de réussite et d’équité et d’une exaspération des personnels éducatifs face à des interventions de parents de plus en plus exigeants voire intrusifs.“
Du côté des parents, la baisse de confiance dans l’École se traduit notamment par une augmentation du nombre d’élèves concernés par l’instruction à domicile au cours des dernières années. Même si, au total, le pourcentage d’enfants instruits en famille reste faible, il est passé en 10 ans de 5 063 enfants en 2010-2011 à 45 661 enfants en 2020-2021
Le “manque de parité d’estime entre les parents et les personnels éducatifs" est une des difficultés qu'ont les établissements pour construire des relations École - familles de qualité. “Les professionnels de l’éducation, souligne l'IGESR, pointent une augmentation de l’interventionnisme parental à titre individuel, le ‘consumérisme‘ croissant des parents, le caractère de plus en plus pointilliste de leurs contestations, leur usage intempestif des réseaux sociaux et des outils numériques.“ Sont encore dénoncées la faible représentativité des familles et de leur diversité par les parents d’élèves élus, ainsi que l'opacité du système scolaire et la méconnaissance des projets éducatifs, avec trop de parents qui ont “encore des difficultés pour comprendre les principes et l’organisation du système scolaire, les procédures d’affectation, les possibilités d’orientation, les parcours de formation, les modalités d’évaluation.“
La mission, réalisée de décembre 2020 à avril 2021, se compose d'entretiens avec des représentants des autorités nationales et académiques (provenant de 26 d'entre elles), des chefs d’établissements, de fédérations de parents d’élèves, d’associations, des chercheurs, la DGESCO, etc.