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Non, la pédagogie différenciée n'est pas un "avatar néolibéral" (Cahiers pédagogiques)

Paru dans Scolaire le lundi 25 février 2013.

Souvent délaissée par les enseignants, la "pédagogie différenciée" est-elle encore d'actualité ? se demandent les Cahiers Pédagogiques."Lors de la préparation de ce numéro, nous avons reçu très peu de témoignages de pratiques, et les rapports témoignent de la rareté des pratiques de différenciation pédagogique dans les classes". Dans leur dernier numéro, Les Cahiers pédagogiques reviennent sur l'actualité de la pédagogie différenciée, plus de quarante ans après l'invention de ce concept par Louis Legrand.

D'où vient la désaffection dont ce type d'enseignement semble souffrir ? s'interrogent Sabine Kahn et Dominique Seghetchian, qui coordonnent ce numéro. Pour le pédagogue Philippe Meirieu, les causes sont multiples : les enseignants sont découragés par les "pesanteurs institutionnelles" et "l'effondrement" de leur formation continue. Ils ont aussi pris leurs distances avec des méthodes qu'ils jugent éloignées de la réalité du terrain et inutilement jargonnantes, suite au "discrédit" jeté sur la pédagogie ces dernières années.

Différenciée ou différenciatrice ?

La pédagogie différenciée aurait aussi souffert de son inscription dans un projet éducatif plus large, lié à l'idéologie de "l'égalité des chances". Victime de "l'hégémonie du pilotage par les compétences", elle est alors apparue comme un "avatar néolibéral" qui mettait l'accent sur la singularité des élèves au détriment du collectif et "transférait l'intelligence du professeur dans les outils d'évaluation". Or il ne faut pas confondre "pédagogie différenciée" et "personnalisation de l'enseignement", prévient P. Meirieu, qui se dit "très préoccupé par l'hégémonie de l'individualisation". Selon le pédagogue, la pédagogie différenciée ne doit pas singulariser le parcours de quelques-uns, mais plutôt affirmer "l'éducabilité de tous".

"Il est temps de montrer, en revenant aux sources, que la pédagogie différenciée est un projet éminemment subversif, qui ne s'inscrit pas dans le paradigme de l'égalité des chances, mais bien dans celui du droit à l'éducation pour tous".

La pédagogie différenciée s'avère aujourd'hui essentielle pour s'adresser à tous les élèves et prendre en charge "les besoins particuliers liés aux handicaps ou aux migrations", confirment Sabine Kahn et Dominique Seghetchian. En revanche, mal employé, ce type de de pédagogie peut aussi avoir des effets pervers et aggraver les écarts au lieu de les combler. "Toute pédagogie court le risque d'être différentiatrice, c'est-à-dire constructrice (...) d'inégalités scolaires : toute pédagogie différenciée court également ce risque".

Pour prévenir toute instrumentalisation, la "pédagogie différenciée" ne doit pas rester un concept pédagogique ou un voeu pieux, mais bien s'ancrer dans les pratiques des enseignants. Pour l'auteur de Faire l'école, faire la classe (ESF Editeur, 2004), elle peut être mise en oeuvre "dans le moindre geste et de manière très simple" en classe, en alternant des méthodologies d'apprentissage dans le même chapitre étudié, ou encore en laissant aux élèves la possiblité de choisir entre plusieurs exercices à réaliser.

Situations didactiques fécondes

La simple étude d'un Calligramme d'Apollinaire est ainsi l'occasion de faire preuve de pédagogie différenciée, explique Cécile Bogey, enseignante de lettres. Cet objet culturel complexe "offre de multiples entrées pour des activités d'apprentissage, sans oublier le plaisir d'agencer les mots et les formes".

Les Cahiers Pédagogiques donnent d'autres exemples de "situations didactiques fécondes" qui permettent "d'éviter l'uniformité d'un discours professoral dans la classe", selon les termes d'un professeur d'histoire Bruxellois. Celui-ci conseille ainsi de s'intéresser aux erreurs des élèves et de travailler sur leurs représentations mentales, en les incitant à exprimer les "clichés" qu'ils associent à certains concepts ("noblesse, dictature, impérialisme, syndicat").

Quant aux heures "d'aide personnalisée" instituées en 2008, elles n'empêchent pas les enseignants de mettre en place une pédagogie différenciée pendant les heures de cours, affirme Eric Saillot, docteur en sciences de l'éducation. Contrairement à P. Meirieu, il ne pense pas que la "personnalisation" de l'enseignement ait contribué à l'affaiblissement de la pédagogie différenciée. Au contraire, "ce dispositif peut amener certains professionnels à améliorer leurs compétences d'étayage, indispensables à la mise en place d'une pédagogie différenciée".

Rancoeurs

Au niveau institutionnel, les déclarations d'intention sont aussi dangereuses que les mauvaises réformes. Si le texte de la loi d'orientation pour la refondation de l'école prévoit la "mise en place, au collège, d’approches pédagogiques différenciées", faire la promotion de la pédagogie différenciée ne suffit pas, prévient P. Meirieu : "il faut en tirer toutes les conséquences". Autrement dit, "donner réellement aux enseignants les moyens de travailler en équipe" et "repenser complètement nos modalités d'évaluation".

Faute de ces réformes de fond, V. Peillon risque de voir se dresser contre lui les enseignants qu'il cherche à séduire. "L'injonction gratuite engendre toujours de la démobilisation et, bien souvent, de la rancoeur".

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